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L'état du monde - Enième critique du film "Joker"

@dav 31/12/2019 psychosocial

Il y a huit articles diffusés sur newsnet.fr et deux qui font référence au film "Joker", et pourtant ce n'est pas un site dédié au loisir ; il s'agit d'une base de données permettant de mieux comprendre "l'état du monde" afin que les générations futures sachent comment ils en sont arrivés là où ils seront, quand ils lèveront les yeux sur une panade noire et intégrale.

Donc c'est surprenant qu'un film de cinéma, bien que cela ne soit pas exceptionnel, fasse la une de la presse alternative, plutôt concernée par les affaires de justice et d'intelligence, contrairement à la télé.

Après tout, ce n'est qu'un film, du "cinéma", une comédie, qui appartient au domaine du loisir (de luxe), et les gars qui écrivent un article sur ce qu'ils ont vu à la télé, après avoir bien dormi, ne font qu'utiliser leur parole pour exprimer leur traumatisme.

Je tiens à évacuer dès le début la seule critique négative que j'aie à faire de ce genre de films, dont les plagiats seront extrêmement médiocres voire totalement inversés (permutés est le terme exact, c'est comme cela que marche la propagande, en interchangeant de place les objets de la réflexion pour les mettre sur une échelle de valeurs qui soit entièrement remodelée afin de formater le gentil téléspectateur). Cette critique concerne la génération de films dont celui-ci fait parie, qui s'amusent à faire du drôle en se basant sur une contre-réaction à un phénomène de mode devenu obsolète, en utilisant un phénomène de mode un peu plus actuel quoique promis à devenir lui aussi obsolète très rapidement. Par exemple on simule la tristesse des femmes grosses et moches et on les invite à venir faire partie de l'empire du rêve américain. Enfin vous voyez ce que je veux dire. Il s'agit de résoudre des pensées négatives, ce qui est bien, en utilisant d'autres pensées négatives, mais pas encore reconnues comme telles (ce qui est critiquable).

Ici la critique négative c'est de baser la tension du film sur un prémisse qui est faussé à la base, puisque le "héros" réagit à une somme cumulée de traumatismes qui lui bouffent la vie et rend objectivement impossibles tous ses rêves et ses espoirs. Normalement dans la vraie vie les difficultés sont autant d'opportunités pour apprendre et faire mieux la prochaine fois, pour progresser, et mettre son courage et sa foi à l'épreuve ; ça ce n'est pas du cinéma, c'est la réalité. La vie est difficile mais du bon arrive à en sortir, car la vie gagne toujours. Les mauvais, les méchants, les injustes, les fous et les imbéciles n'ont qu'une durée de vie limitée, leurs mensonges sont très vite apparents, et leur violence n'obtient les effets escomptés qu'à court terme et en devenant de moins en moins efficace.

Ici on est dans "Gotham" alors ça explique tout, un peu comme si on était dans le monde inversé que "Stranger Thing" n'avait pas réussi à exploiter intelligemment, n'y faisant référence qu'en la personne d'un monstre obscur absurde. Gotham c'est une ville comme il va y en avoir de plus en plus, si le capitalisme et la privatisation sont poussés jusqu'au bout, où les pauvres restent en bas toute leur vie, les rues sont sales, et les riches se pavoisent à la télé en laissant échapper par mégarde des insultes contre les pauvres, les traitant de fainéants qui méritent bien leur sort, puis en se ravisant sur les conseils de leur manager, en déclarant ne pas avoir voulu dire ce qu'ils ont dit. Comme chez nous, direz-vous, à part que dans Gotham les choses sont figées et que les gens, d'en bas et d'en haut, son définitivement et irrémédiablement comme ils sont, empiriquement définis par la façon dont on les décrit.

La mère du Joker qui ne connaît du monde que ce qu'elle voit à la télé trouve que Thomas Wayne est un type très bien et que c'est sur lui qu'il faut fonder l'espoir que le monde devienne meilleur. Elle est de droite parce qu'elle s'est ralliée à la critique des misérables dont elle fait partie pour s'imaginer un jour ne plus en faire partie. Elle est tombée dans le piège le plus basique de la real-politique.

Et le fiston, qui rêve de devenir comique, s'imagine en étant l'invité de son émission favorite où il sait déjà à quel point il y ferait bonne figure. L'acteur répète la gestuelle de son arrivée triomphale sur le plateau télé, judicieusement heureux mais humble, souple et agile physiquement et mentalement, parfaitement maître de lui-même, et laissant échapper une sorte de bonté naturelle indéfectible.

En faisant cela le réalisateur envoie une attaque massive à tous ces frimeurs qui ont fait cela pendant des décennies sur tous les plateaux télé du monde, tourne en dérision le sentiment pompeux d'avoir réussi dans la vie et met en lumière leur nullité intérieure. C'est vraiment une très belle scène.

L'acteur, qui s'est remarquablement entraîné, active graduellement la gestuelle du Joker, qui danse sur la tombe de son ennemi de toujours, rouillé et osseux comme un Gollum (du Seigneur des Anneaux), laissant exprimer une joie intérieure qui est comme une énergie qui circule mal en sortant de ses entailles endolories, comme électrocuté au ralenti.

Dans ce film le "Bien" est du côté du Joker tandis que Thomas Wayne, le père du futur débile déguisé en chauve-souris pour une raison mal dissimulée de vengeance personnelle, fait partie de la clique des riches qui n'ont aucune humanité ni compréhension des vraies choses de la vie. Ils sont indécents, menteurs, violents, égoïstes, méprisants, et refusent jusqu'au dialogue avec des gens qui ne sont pas de leur monde, comme on le voit dans la scène où le Joker rencontre Thomas Wayne, son père selon toute vraisemblance, quoi qu'on puisse avoir des doutes. Mais dans ce contexte le rejet catégorique de toute affiliation par le père a plus l'air d'un mensonge habituel que d'autre chose, et on voit bien comparé au Joker qui demande seulement à en discuter, qu'il n'a aucune sincérité, ni la moindre gentillesse.

Une méthode de tension nerveuse infligée au spectateur dans les films, qui est très usitée depuis longtemps, consiste à créer des situations qui peuvent se résoudre en une seule phrase d'explication, rendue possible après une montagne de contretemps incroyables, et qui finalement ne vient jamais, laissant naître l'injustice fatale bien connue sous le terme de l'élément modificateur, le moment où on passe d'une situation à un renversement de situation. Cette technique est utilisée dans tous les films toutes les histoires et toutes les narrations, même les plus mauvais. Et ceux qui n'en font pas usage sont jugés encore plus mauvais. Donc il n'y a rien de surprenant à ce que même une fois arrivé en position de résoudre le problème, rien de bon ne sorte.

Un autre aspect amusant du film est l'imaginaire du Joker, qui est assez débordant pour le lui faire confondre avec la réalité. Ceci sert à montrer un être perturbé, mais en même temps c'est parlant de la malle à espoirs enfouis où viennent se loger les vieux rêves comme dans un grenier poussiéreux. La réalité imaginaire s'écroule vite face au poids de la réalité. C'est là qu'a lieu le renversement dans le film, quand ce qui est subit devient volontaire, suivant le processus le plus habituel de toutes choses : peu lui importera de savoir si ce qu'il a fait était un rêve ou la réalité. Peut-être même que toute cette histoire n'est que dans sa tête. (Et pour gagner sa vie il aura créé Batman.)

Je trouve que dans ce film les causes de la frustration sont assez mal décrites, elles sont justes superficielles, il y a des micro-événements sporadiques, et "un monde" tout entier enseveli par des personnes mal intentionnées, autant chez les pauvres que chez les riches. Cela est mensonger, les pauvres ont plus le sens de l'entraide, car ils savent de quoi on parle quand ils voient la souffrance. Et d'autre part les causes de la frustration sont bien plus vastes, car elles émergent de bilans où on s'est faits avoir pendant des années et où l'espérance ne fait que se heurter à des mensonges et des manigances de plus en plus sophistiquées. Jusqu'au point d'ailleurs où même ce film peut en faire partie.

L'histoire est celle d'une masse tellement grande de souffrance et de misère, de chaos et de folie, de fragilité des apparences facile à percer chez les pauvres (toujours accusés de mentir) et jamais chez les riches (qui refusent le dialogue), que sur cette base se forme une pyramide de haine au sommet de laquelle se trouve un individu qui n'a particulièrement pas eu de chance dans la vie. L'objet principal du film est qu'ayant fini de ne plus rire, le Joker a décidé de trouver drôles la mort des snobinards bourrés et irrespectueux du métro, la mort des policiers ayant bêtement commis une bavure en plein milieu d'une foule hostile, la mort en directe du présentateur-télé qui invite des gens pour se moquer d'eux, et la mort du politicien-père-de-Chauve-souris-Man alors qu'il déambulait fièrement sans avoir rien à craindre de la vie. Mais tout cela, dont le spectateur est témoin, les riches dans le film ne le voient pas, ils ne voient que des meurtres méchants et explicables seulement par la débilité mentale. Ils ne voient qu'une violence sans laquelle "tout irait bien". Ils n'accèdent jamais aux explications qui font que les choses sont comme elles sont, puisqu'ils refusent obstinément tout dialogue. C'est parfaitement la description, et à la fois une critique, de la dictature moderne.

Il demande, sur le plateau-télé où il a finalement été invité, ce qui aurait été pour lui l'occasion de s'en servir positivement en faisant de la pub (ça marche toujours), le sens de la drôlerie qui est la leur. Les blagues qu'il raconte ne sont pas des histoires avec un début et une chute, mais juste des faits terribles énoncés froidement. Un peu comme les titres du Gorafi ("Le gars qui criait À poil ! dans les concerts est trouvé mort"). Pour trouver cela drôle, il faut remonter à la source du problème, la réalité, l'état du monde dans lequel on se trouve quand on habite à Gotham (pays imaginaire, comme Metropolis, qui ressemble à s'y méprendre à New York).

Le film résout deux très grandes difficultés avec un relatif brio, et qui sont parfaitement antinomiques. Il s'agit à la fois d'expliquer comment, en poussant tous les traits du modernisme à l'extrême, on arrive à expliquer l'existence d'un personnage aussi absurde et aberrant que le Joker dans Batman, ce que les films ont souvent tendance à devoir faire à force de créer des suites, un peu comme la façon d'expliquer comme Dark Vador est apparu en tant que syndrome de la personnalité multiple (dont souffrait aussi le Gollum, cela dit en passant, parce que c'est assez récurrent dans les films - américains). Dans Star Wars c'est limite tiré par les cheveux, mais enfin il faut ce qu'il faut, et parfois le soucis du raccord des films entre eux est un peu bâclé. Il faut dire que ce n'est pas facile quand entre deux films on passe d'une époque à une autre. C'est aussi le même problème auquel a dû être confronté un film sur le Joker, personnage né à une toute autre époque, dans un tout autre monde, presque incompréhensible pour nous. Comment le rendre explicable ? Ce n'est pas facile parce qu'il est spécialement loufoque et anxiogène.

Et la deuxième contrainte à laquelle le film répond, simultanément au premier exploit qui consiste à créer un fou sur une montagne de fous, est de renverser complètement la posture bienfaitrice de ce connard aberrant de Bruce Wayne. Enfant, il était encore ouvert d'esprit, mais son tortionnaire de major-d'homme lui a bien vite expliqué qu'il ne fallait pas adresser la parole aux pauvres, parce que selon son expérience si précieuse de la vie, ce sont tous des méchants avec de mauvaises intentions.

Et finalement Chauve-souris-Man se retrouve dans la situation où, pour combattre "le crime", personnifié par un criminel content de l'être (comme le sont d'ailleurs les élites de ce monde), il aurait aussi bien pu aller vers eux et leur demander paisiblement ce qui ne va pas, s'intéresser à leur souffrance, leurs rêves et leurs espoirs, demander de quoi ils ont besoin, bref se montrer un minimum humain et pacifique. Le crime doit être puni, OK, mais enfin il faudrait commencer par les plus gros et les plus monstrueux. Une fois le monde bien reglé, défait de toute injustice systémique, alors seulement on pourra juger que les petits délits sont un réel problème, en tant que germe d'un monde voué à l'effondrement. Mais là le problème, il vient d'en haut. C'est donc stérile de n'en appréhender que les symptômes.

Le Bruce Wayne ne s'est jamais intéressé à la vie des pauvres, à ce qu'ils pensent et à ce qu'ils sont forcés de vivre chaque jour, à chaque fois qu'une décision politique irresponsable est prise sans égard pour quoi que ce soit d'autre que leur propre puissance. Il n'a jamais été compassionnel. C'est juste un connard de fils de riche qui vit dans son petit monde féérique et imaginaire, manichéen et extrémiste, et qui met sa fortune au service d'une lubie qui consiste à se promener en pyjama dans les rues, en se payant une voiture de guerre sur-mesure, au lieu de donner le moindre centime à quelqu'un qui fait la manche. C'est vraiment le pire connard de la terre ! C'est cela que dit le film. Il marque donc un tournant dans les films de cinéma, où dorénavant les films de super-héros n'oseront plus exposer en public et avec insolence leur méthode nazie fondée sur "la vengeance", la violence, l'irritabilité, le fait d'agir par réflex conditionné en toutes choses, et l'auto-satisfaction à propos de leur toute-puissance.

Les héros en prennent un coup !
C'est la fin des héros, et la fin d'une époque.
Les films qui marcheront devront maintenant adopter une vision panoptique du rapport à la réalité, qui ne cesse de grandir au fur et à mesure qu'on veut bien s'y intéresser. Peut-être même que la stratégie narrative va en être bouleversée, et qu'il faudra plus de notion de "prise de conscience des choses" là où avant il n'y avait qu'un simple élément modificateur, fondé sur un monde imaginaire superficiel.

Il y a encore deux remarques que je veux faire sur ce film, c'est ce qui m'y a attiré et comment j'en suis sorti. Comme on dit, on n'en sort pas indemne, même si on se place comme celui qui a le mieux compris au monde l'intention de l'auteur. Les autres critiques font référence à Victor Hugo, détectent des blocages, font des comparaisons, mais ce n'est pas ce que je veux faire.

En premier je suis d'accord avec l'idée de fond du film, à ceci près que mon optique est diamétralement inverse. En ce sens le film dénigre totalement tout ce en quoi je crois et qui fonde ma pensée (la contradiction est artistique donc acceptable). J'ai dit, un jour, après avoir bien assez souffert, que tout n'était plus pour moi qu'une blague. Je le pense sincèrement, dans la mesure où les leçons de la vie tendent toujours à apporter des explications apaisantes à propos de la perception de la réalité. C'est la philosophie de la vie. Il y a des choses mauvaises mais elles sont explicables, et peuvent être résolues. Rien n'est vraiment grave, c'est juste que ça prendra plus de temps pour le résoudre. Depuis ce jour j'ai obtenu la certitude complète et absolue, même devant la mort, qu'il n'y avait jamais aucun problème insoluble. Et, Garcimore m'en est témoin, je rigole à chaque fin de phrase. Je voulais donc savoir comment était traitée cette philosophie de la vie, qu'on retrouve aussi dans "Rick et Morty".

Dans ce film c'est la position inverse qui est prise, si le Joker pend le parti de rire de tout, ce n'est pas pour une raison philosophique emplie de sagesse, en dédramatisant pour se donner le courage de continuer, ceci afin de soigner les blessures de l'âme. Non, s'il rit de tout c'est parce qu'il est sous médocs. Cela lui attire des ennuis d'ailleurs, mais au fond il ne trouve de bonheur, de joie de vivre, et de raison d'exister qu'en se laissant être le jouet des circonstances et de l'époque, un peu comme s'il vivait hors de lui-même. Son soi doit tuer, car il en est arrivé là, et son âme observe ceci tel un spectateur qui n'a aucune compassion pour ce piètre et ridicule personnage déguisé en clown, et ne tente même pas de l'en empêcher. Il a totalement décroché, comme on dit. En voulant voir ce film je voulais savoir comment ils avaient retourné la vraie sagesse afin de mieux l'occulter. En cela on ne s'éloigne pas tant que cela du ton léger caractéristique du simple amusement cinématographique.

En second il convient d'analyser la nature du rire ou du sourire qu'on a tout au long du film jusqu'à la la toute dernière scène et encore pendant le générique.
D'abord, c'est bien sûr, le jeu d'acteur est absolument divin, d'une perfection et d'une justesse qui colle parfaitement à l'histoire voulue, c'est du vrai génie. Dans le génie il y a ce qu'on arrive à en capter et ce qui nous échappe encore. On se donne alors tout entier pour le découvrir, le dépecer, et le comprendre. La gestuelle de la danse du Joker est correcte par rapport à ce qu'on s'imagine qu'elle est. En cela, c'est comme les films de zombies ou de vampires (d'autres chauves-souris mais n'y voyez aucun rapport), dont le cinéma arrive à retranscrire visuellement l'imaginaire qu'on s'est construits autour de ces fables ; et c'est toujours impressionnant.

Le rire, ce sourire, comme je l'ai dit au début (maladroitement) provient de l'inversion de valeurs qui positionne le spectateur selon une perspective nouvelle, où on rit de ce dont on ne devrait pas rire, à part qu'on sait que "tout ça, c'est pour de faux" (donc on peut en rire). C'est une forme d'ato-mutilation des films de cette époque orwellienne, ou pour le dire plus simplement, une sorte d'auto-dérision.
Mais le sourire qui reste à la fin du film, lui est d'une nature assez extraordinaire. C'est à cause de ce sourire que tant de gens comme moi se sont empressés d'écrire un article au lendemain matin. À la fois, il faut le dire, il est sadique, puisque la foule révolutionnaire érige en icône le Joker au visage tâché de sang, qui danse pour fêter la victoire de l'avènement de l'ère du crime, où véritablement, dans la conscience populaire, s'inaugure le jour où officiellement le sang versé est devenu la solution à tous les problèmes. Bienvenue en enfer.
C'est aussi, symboliquement, un message d'espoir pour ceux qui se battent contre l'injustice, disant qu'un jour les choses peuvent basculer, et qu'enfin les crimes dont ils sont victimes seront reconnus publiquement et dénoncés objectivement. Crimes parmi lesquels il y a tous ceux qui passent sous le radar de la justice, comme la violence du quotidien, et tous ceux qui passent largement au-dessus, en plongeant des peuples entiers dans la misère et la souffrance. Un jour, ce jour viendra, et c'est pour cela qu'on sourit.

On sourit aussi parce qu'on reconnaît notre époque, la future misère qui est promise par le capitalisme et la privatisation, l'individualisme et le mépris qui existent aujourd'hui multipliés par cinq ou dix, et le fait que ce monde à la Gotham soit aussi impossible qu'on est à peu près sûr qu'il n'existera jamais, parce que la lumière et la justice auront réussi à percer d'ici-là.

Finalement c'est normal que dans les histoires les héros aient leur ennemi symétrique, puisque le monde qui émerge du premier personnage fait émerger le second par une simple déduction. Ici le Joker va devoir lutter contre Bruce qui a vu ses parents mourir sous ses yeux. Il pourra même lui faire la morale en lui disant que c'était pour son bien, et que ça l'a renforcé. Mais les deux sont issus d'un monde qui est le seul à les rendre possibles, un monde dépeint avec des couleurs sélectives (sombres).

Ce que j'attendais d'un tel film, tel que celui que j'ai écrit "Superman sauve le monde" (et qui est resté une ébauche devant la difficulté d'y parvenir), c'est d'immerger le personnage fictif dans le monde réel, tel qu'il existe dans la réalité, avec tout ce qu'on peut y trouver de bon, de mauvais, de compliqué et de surprenant. J'avais prévu que mon héros, Clark, journaliste dans un média de propagande, se rebelle en adoptant une identité virtuelle où il pourrait faire fuiter les informations vraiment importantes, de première main. Son objectif de sauver le monde aurait été sur une autre échelle que celle qui consiste à faire le flic des rues qui utilise des moyens surnaturels au service de la répression des misérables petits larcins. Pour accomplir ce miracle, Superman aura réussi à toucher le cœur des gens en étant le seul capable d'arrêter la folie meurtrière du business de la guerre et de la famine, en leur révélant les mensonges auxquels ils ont été conditionnés volontairement par ces "élites", et en leur prodiguant des principes et des méthodes qui soient porteuses de paix et d'un avenir meilleur.
Mais bon, l'histoire reste à écrire. Et c'est bien moins marrant que la symétrique inverse, où le cœur des gens est touché d'une traite par un meurtre symbolique en direct à la télé. Au moins ça va plus vite !

Finalement, et c'est une des clefs du succès des films de notre ère holiste, le spectateur se retrouve itérativement dans le personnage du Joker dans la mesure où lui aussi accède à la réalité par le filtre tortueux du second degrés. De la même manière que le Joker n'est que le jouet du monde, dont le comportement est réglé par les circonstances subies de façon cumulative, le spectateur assiste, impuissant mais enjoué, au moment où l'humanité sombre dans la bestialité et l'obscurantisme, motivée par une force vitale que leurs actes rendra caduque, c'est à dire de manière suicidaire. Oui c'est cela aussi, le sourire du spectateur à la fin du film, celui de l'absolution de la pulsion de mort.

Il n'y a rien à craindre, réjouissez-vous, tout ce monde n'est qu'une vaste comédie !
Ce qui compte concrètement ce sont vos choix, et non ce que vous êtes de façon abstraite.